Sola fide

"Le coq chanta et il pleura amèrement"

Psaume 23, Exode 3/1-2 et 7-14, Matthieu 16/13-20, Matthieu 26/69-75

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(version pdf)

"Jésus étant arrivé dans le territoire de Césarée de Philippe,
demanda à ses disciples : Qui dit-on que je suis ?"

Cette question de Jésus n'est-elle pas tout à fait banale ? Jésus demande à ses disciples, à ses amis, ce que l'on pense de lui … Peut-être pourrions nous aussi demander à nos amis ce qu'ils pensent de nous, de notre communauté protestante et ce que nous sommes pour eux.. !

Sans beaucoup de crainte, d'ailleurs, car nous sommes nous plutôt considérés comme des gens sympathiques .. une fois par semaine nous offrons un déjeuner à ceux qui ont besoin de notre aide, une fois par mois nous proposons un culte dans les maisons de retraite et de beaux concerts au temple .. une fois pas an nous les invitons à partager des repas conviviaux et succulents… bref, nous ne troublons pas l'ordre public et sommes respectés … que dire de plus !

Les disciples ne répondaient pas très différemment à Jésus …Ils lui disaient que les foules venaient en masse pour l'écouter … qu'il faisait des miracles .. qu'ils voyaient en lui l'homme politique providentiel qui les sauveraient de la misère et de la domination romaine …

Nous aussi, au Temple, nous écoutons sa Parole et sommes attachés à ce qu'il dit. Par contre, hélas, nous ne pouvons pas vraiment dire qu'il y ait "foule" dans notre temple et sommes bien tristes de n'y être qu'une poignée !

Beaucoup d'autres pourraient venir remplir ce temple puisqu'ils se disent protestants.. et nous soutiennent financièrement mais, que voulez-vous, il faut nous y faire car nous ne voyons pas vraiment ce que nous pouvons y faire pour les y amener !

Alors Jésus, pose la question différemment et demande à ses disciples, à notre communauté, et à nous personnellement, par conséquent : "Mais vous, mais toi, qui dis-tu que je suis ?"

Qui est Jésus ? cette question était visiblement inattendue pour ses disciples … au fond, d'ailleurs, s'étaient-ils jamais posé cette question ? Ce qu'ils savaient, c'est qu'un jour, au bord d'un lac ou dans les champs, ce Jésus leur as dit "suis-moi" et qu'ils l'avaient suivi !

"Qui dis-tu que je suis ?" Les disciples ne savent pas le dire. Ils tentent alors de répondre en disant, non pas ce qu'ils peuvent dire eux même (ce serait trop embarrassant), mais ce que disent les autres …

Nous même, nous savons dire ce que nos éminents pasteurs et théologiens disent, réfléchissent, parlent et écrivent pour nous … après tout, c'est leur métier et ils le font très bien pour nous et cotisons à la structure de notre église pour cela .. nous n'avons donc qu'à dire ce qu'ils savent dire et disent pour nous !

Mais, hélas, telle n'est pas la question que pose Jésus à ses disciples… il nous demande à nous tous, à nous qui sommes venus dans ce temple pour écouter sa Parole, à chacun de nous, et à moi tout particulièrement que vous avez chargé de le dire : "Toi, qui dis-tu que je suis ?"…

Faut-il, pour y répondre, chercher dans une bibliothèque ou sur Internet ce que de doctes théologiens auraient déjà dit à ce sujet ? Les disciples de Jésus le tentent à leur façon (on dit que tu es Elie ou un grand prophète ..) mais la question de Jésus est sans ambiguïté : "Toi, qui dis-tu, (pas ce que disent les autres), qui dis-tu que je suis ?"

Je vais vous avouer, chers amis, que j'en étais là aussi ces derniers jours, et que j'en suis là toujours en espérant de trouver un moyen de m'en sortir honorablement !

Il y a 6 ans j'avais déjà eu l'audace de commenter ce même texte dans ce même temple et me disais donc (paresse aidant) qu'aujourd'hui il me serait "facile" de recommencer puisque je n'avais qu'à reprendre (à relire) ce que j'avais dit (écrit) et même publié … il y a 6ans !

Mais, chers amis, quelle amère désillusion ! Ce que j'avais dit il y a 6 ans n'avait plus vraiment de sens aujourd'hui puisque je voulais vraiment méditer et répondre aujourd'hui avec vous à cette question "Mais toi, Daniel, mais toi, petit troupeau fidèle de la paroisse de Crest, que dis-tu, que disons-nous que moi, Jésus, je suis vraiment pour toi !"

Il était vrai qu'il y avait 6 ans, à 2 heures du matin, sous la pluie un SDF inconnu de tous était assis sur les marches du Temple .. 300 personnes venaient d'en sortir après un concert sublime et, comme je devais fermer les portes … j'étais coincé à 2 heures du matin, sur les marches du temple, sous la pluie …!

Bien évidemment, j'avais sommeil et la charité chrétienne ne m'étouffait pas .. mais avais-je le choix ? .. j'ai donc invité ce "casse pieds" à dormir chez moi, mais là, en entrant, il m'a posé à brûle pourpoint la question suivante: "Pourquoi m'invitez chez vous car vous ne savez pas qui je suis !" … C'était vrai et me suis barricadé dans ma chambre !

J'y avais déjà médité pendant la nuit quand le lendemain, en me proposant de me rembourser le verre de lait qu'il avait accepté de prendre, il m'a dit qu'il s'appelait Bagdad !

D'ailleurs la question qu'il m'avait posée : "savez-vous qui je suis ?" s'est très vite retournée car, au fil des jours suivants, car ce n'était plus Bagdad qui me demandait qui il était … mais moi qui me demandais qui j'étais et surtout qui j'aurais été (un sinistre crétin sans doute !) si je ne lui avais pas ouvert ma porte car c'était un personnage exceptionnel.

Bref, il y a 6 ans, je tenais le fil de la prédication … Mais, désolé, cette semaine, je n'ai pas rencontré de clochard à 2 heures du matin, sous la pluie, sur les marches du Temple… que vais-je donc dire aujourd'hui pour répondre, avec vous, à cette question de Jésus qui me (qui nous) prends totalement au dépourvu et nous dépouille complètement : "Mais toi, qui dis-tu que je suis !"

Car c'est bien aujourd'hui, pas demain, pas il y a 6 ans, que nous devons répondre !

Certes, nous pouvons encore nous en tirer en reprenant à notre compte les mots même prononcés par Pierre "Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant !"

Mais cela ne colle pas .. Jésus ne nous demande pas de dire ce que Pierre a dit !

Non Jésus nous demande de dire personnellement ce qu'il est réellement aujourd'hui pour nous, dans nos paroles, dans nos actes, il nous demande de dire aujourd'hui ce que nous disons de lui, hors de ces murs, de dire ce que nous disons de lui dans la ville de Crest, dans nos occupations habituelles, dans nos relations et nos comportement avec ceux que nous aimons, comme à ceux que nous n'aimons guère …

Jésus ne nous demande pas de réciter nos leçons de catéchisme apprises autrefois et de lui répéter, sans les prendre à notre compte, les mots que son disciple Pierre lui a dit un jour de façon tout à fait irréfléchie !

D'ailleurs, ce Pierre, ce premier témoin, est-il si crédible que cela pour que nous puissions nous nous appuyer sur son exemple… Un peu plus loin, nous avons lu dans le texte de Matthieu que ce témoin modèle "pleura amèrement" après avoir, pour sauver sa peau, renié par " fois celui qu'il venait d'appeler "Fils de Dieu" !

Et nous, ne risquons nous pas pleurer amèrement l'image d'une église en peau de chagrin, donnée par notre petite communauté sans que nous pensions pouvoir faire quoi que ce soit pour elle ?

Mais pourtant … mais pourtant.. pleurer amèrement, ce n'est vraiment ce à quoi nous invite le texte de l'Evangile de Matthieu ! Celui qui pleura amèrement, ceux qui pleurent amèrement de ne savoir comment témoigner de Lui dans notre ville, ne sont-ils pas, quelques soient leurs reniements, ne sont-ils pas aussi ceux pour lesquels Jésus a dit à Pierre "tu es heureux Simon, fils de Jonas; car ce n'est point la chair et le sang, l'intelligence qui t'ont révélé cela, mais c'est ton Père qui est dans le cieux" ?

Un peu de modestie de grâce, (ou d'orgueil, car les deux ne sont ils pas également pertinents ?) lorsque nous témoignons de ce qui nous a ouvert les yeux, de ce qui nous fait vivre, de notre foi, ce n'est pas "notre chair, notre sang, notre indignité, notre intelligence, nos connaissances, nos compétences "qui peuvent parler (et cela bien heureusement !) mais c'est "notre Père qui est dans les cieux".

"Tu es Pierre et sur cette pierre..", sur toi.., sur ta Foi (quelles que soit ce que ton indignité et ton incompétence qui voudraient te faire croire que tu es incapable d'en témoigner) que je construirai mon Eglise".

Il n'est pas 2 heures du matin, il ne pleut pas sur les marches du temple et Bagdad n'est pas là pour nous aider à répondre : il est parti car il a été chassé par ceux qu'il gênait … il m'avait invité à déjeuner .. mais je n'avais pas eu le temps .. j'en pleure encore amèrement !

Nous n'osons pas encore répondre à Jésus, soit, mais Lui, il entend ce que nous n'osons pas dire, il entend ce qui est en notre cœur et il nous dit : "Tu es Pierre ! … Je sais que tu me renieras encore, mais tu es Pierre et c'est sur toi, c'est avec toi, que je bâtis mon Eglise !".

Amen

Textes et liturgie
Temple de Crest le 11 mai 2014

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Maj. 140512